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Published on: INTERVIEW TALENTY

Mathilde Armantier alias Manlia : l’art de se créer des opportunités [Interview]

Mathilde Armantier, à seulement 25 ans, est une véritable slasheuse : DJ et productrice sous le pseudonyme de “Manlia” et femme engagée. Elle est la co-fondatrice de l’association À Nous la Nuit dont l’objectif est de sensibiliser aux discriminations et préjugés liés aux genres et aux sexualités la nuit, dans l’espace public urbain.

C’est pour toutes ces facettes que nous avons eu envie de la rencontrer et de vous raconter son histoire. Le rendez-vous est pris dans nos bureaux pour une interview en toutes confidences. Ensemble nous avons discuté de rêves d’enfant, de peurs, de syndrome de l’imposteur, de quête de sens, d’échecs salvateurs, mais surtout d’audace !

Manlia
© Quentin Reno

Talenty : Bonjour Mathilde, nous suivons ton parcours via les réseaux sociaux et tu as l’air de faire 1000 choses. Comment tu te définis professionnellement ?

Mathilde :  Pour être très honnête, en ce moment, je dis que je suis DJ et que je suis en train de me former au logiciel professionnel Ableton. J’ai beaucoup de mal à me définir … donc tout dépend de qui j’ai en face de moi. Si je vais à la simplicité, je balance juste « étudiante et DJ ». Dans ce cas, les gens ne me posent pas plus de questions. 

Mais il y a encore peu, j’avais besoin de justifier mon parcours en disant : « ben voilà je suis DJ, mais ça ne fait vraiment pas longtemps, avant j’étais à Sciences-po, je faisais de l’urbanisme et j’en pouvais plus, du coup, j’ai changé ! »

T : Donc aujourd’hui ton quotidien c’est surtout de te former au djing ?

M: Actuellement, je suis en train de développer un projet de musique. Du coup même si je suis déjà DJ je me forme chaque jour pour composer sur Ableton. Cette formation Ableton c’est ce qui me prend le plus de temps. C’est tout un nouveau langage à apprendre. J’ai moins de temps pour travailler à côté sur d’autres projets.

T : Comment es-tu passée d’étudiante à Science Po Paris à DJ ? Peux tu nous raconter ton parcours ?

M: J’ai eu un Bac ES option Histoire de l’Art. Comme quoi ce domaine me titillait depuis longtemps. Je l’ai intégré tout de suite après mon baccalauréat. J’y ai fait mon collège universitaire. Les deux premières années ont été absolument merveilleuses ! 

J’ai découvert plein de choses et j’étais enfin avec des personnes qui avaient les mêmes intérêts que moi. J’ai intégré le bureau des arts et le ciné-club Sciences Po Paris car à l’époque je voulais bosser dans le cinéma. 

C’est après ma troisième année d’étude que j’ai faite à l’étranger, à Manchester, que j’ai remis en question mes perspectives. A mon retour je n’ai trouvé aucun Master qui me plaisait. Comme j’avais besoin d’indépendance, et que j’aspirais déjà à me lancer dans des projets artistiques,  je m’imaginais travailler dans un bar tout en commençant à créer à côté… mais je n’ai pas eu le courage de le faire. Sans grand enthousiasme j’ai commencé un Master Finance et Stratégie pendant un semestre. Je suis devenue dingue ! Ca ne me plaisait pas du tout. J’ai donc arrêté et j’ai fait un stage à la mairie de Paris. C’est à ce moment-là que j’ai co-fondé À Nous la Nuit.

T : À cette époque, tu ne t’imaginais pas faire un métier artistique ?

M: J’étais dans le flou. J’ai finalement commencé un autre Master, intitulé « Stratégies Territoriales et Urbaines », toujours à Sciences Po. Le premier semestre m’a énormément intéressée et ensuite c’est complètement parti en sucette.  J’ai à nouveau perdu de vue ce que je voulais faire au départ.

En réalité je souhaitais contribuer à la fabrique d’espaces urbains avec une forte partie programmation culturelle, et artistiques. Ce qu’on appelle des « Tiers-lieux »  comme Les Grands Voisins, où j’ai d’ailleurs fait mon stage de fin d’études. Malheureusement, à Science Po j’ai été prise en grippe par certaines personnes de la direction pédagogique parce que j’étais « originale ». Elles voyaient l’urbanisme de façon traditionnelle, voulaient que l’on travaille dans la promotion immobilière ou le conseil. C’est particulièrement hardcore ce milieu. Je n’avais pas du tout envie de bosser là-dedans. Du coup, j’ai demandé de faire une année de césure, mais on me l’a refusée. Je crois que ça a été le début du « vrillage », je me suis retrouvée en perte de sens totale.

Mathilde Armantier
© Thomas Smith

T : Comment tu as réussi à reprendre pieds ?

M: Après mon stage au sein des Grands Voisins, pas une seule fiche de poste ne m’intéressait. C’est grâce à mes activités dans l’association À Nous la Nuit que je me suis rendu-compte que je voulais travailler dans la musique ou dans l’événementiel. 

J’ai alors commencé à chercher dans le booking, mais je faisais encore mauvaise route, c’est un métier de commercial, et donc pas vraiment ce à quoi j’aspirais. 

Je me suis vite rendu compte que personne n’allait me proposer le job idéal. Donc j’ai décidé de le créer. Il a alors fallu se poser la fameuse question “c’est quoi mon truc idéal ?” La réponse à été une évidence : je souhaitais renforcer À Nous la Nuit pour créer mes propres opportunités. Et dans ce même « mood », j’ai commencé à envisager sérieusement passer derrière les manettes de musique électro (chose que je m’étais interdite de considérer sérieusement jusqu’alors).

T : D’ailleurs dis-nous en plus sur la création et le développement de À Nous La Nuit ? C’est impressionnant de porter seule un tel projet !

M: Au début nous étions deux co fondatrices. Je n’ai pas osé le faire tout de suite seule. J’ai bassiné Adèle pendant quatre mois avec cette idée d’association, jusqu’à ce qu’elle me propose qu’on le fasse ensemble. On s’est lancées en février 2016. Une petite dizaine de personnes nous ont rapidement rejoint. Pendant un an et demi nous avons travaillé main dans la main. Même si c’est moi qui m’occupais déjà de la programmation des événements, tous les textes et tout le concept d’ « À Nous La Nuit » ont été faits en équipe. C’était la première édition. Progressivement, les autres ont quitté les études, trouvé des jobs très prenants, et je me suis retrouvée seule aux commandes. 

Mais quand même, en 2016, sans rien connaître, j’ai monté de A à Z toute une soirée de sensibilisation comprenant des concerts très « quali » au Point Ephémère et une marche dans l’espace public. C’est vraiment fou quand j’y repense !

T : C’est dingue d’avoir accompli tout cela sans expérience préalable ! Comment as-tu réussi à te sentir légitime ?

M : Je n’identifiais pas notre action comme un travail ! À Nous La Nuit s’est structurée en association de loi 1901 parce que nous ne nous sentions pas très légitimes, nous avions  le besoin d’être validées par des professionnels. C’est pourquoi nous avons présenté le projet à la mairie de Paris. Rapidement le Conseil de la Nuit de la mairie de Paris s’est mis à nous citer un peu partout et nous sommes devenus une « référence ». 

Aujourd’hui je me rends compte que ça a toujours été “un vrai boulot”. J’ai même longtemps dit : “Ah mais ce n’est pas compliqué d’organiser un événement !”. Alors qu’en réalité, c’est énergivore. C’est d’ailleurs pour ça que dans les périodes où j’allais moins bien, je n’ai rien pu faire. Vouloir porter un projet seule, sans avoir une structure qui t’accompagne, c’est accepter d’y laisser vraiment toute son énergie.

T : En plus de gérer l’association tu es DJ. Comment t’es-tu professionnalisée ?

M: En organisant des événements, j’ai pris goût aux musiques électro. J’admirais de loin ce univers. J’ai mis beaucoup de temps avant de me sentir légitime à me lancer (une fois de plus décidément!). Comme je le disais, c’est au moment où je me suis dite que je devais me créer mon job que la question est vraiment arrivée sur la table, soit il y a seulement environ 1 an, début 2019. J’ai alors commencé à mixer. Immédiatement je me suis rendue compte de la réalité du métier. C’est un travail énorme et beaucoup de rigueur avant d’atteindre un bon niveau. C’est comme apprendre à faire du vélo ou apprendre à conduire… il faut bien poser les bases et s’entraîner sans cesse. Mixer, c’est cool, mais ce que je veux absolument faire c’est composer et créer ma musique. Peut-être même écrire. Actuellement je fais ce que je n’ai pas fait au retour de Manchester finalement.

Mathilde Armantier
© Thomas Smith

T : Composer de la musique était un rêve d'enfant ?

M :  Non, c’est marrant, ce n’était pas un rêve d’enfant. Alors que finalement c’était plutôt une évidence, j’avais et j’ai toujours une musique dans la tête, et dès que j’entends un son que j’aime passer, je le reconnais toujours en à peine quelques notes ! Mais malgré tout, l’envie de créer me démangeait depuis fort fort longtemps en fait. 

J’étais très cinéma au départ, enfin jeune jeune adulte. Je crois que très tôt je rêvais de réaliser, mais c’est quelque chose que je ne m’autorisais absolument pas. La découverte des Arts visuels – au lycée et début Sciences Po -, c’était fou. 

Mais avant ça, Le seul vrai moment où je m’étais projetée en tant qu’“artiste” c’était au collège et je m’imaginais être écrivaine. Je me souviens en avoir parlé à ma prof, et en fait elle m’en a dégoûté. Elle m’a dit : “ Tu sais, écrivaine, c’est un métier vraiment pas accessible et très solitaire. Il ne faut pas idéaliser ce métier.” Elle pensait bien faire en me mettant en garde, mais ça m’a coupé les pattes. Alors que j’avais de très bonnes notes au collège, arrivée en classe de Seconde, le français est devenu totalement inintéressant pour moi. Par exemple, faire un commentaire de texte, j’y voyais pas du tout d’intérêt. Ca casse l’émotion. J’avais l’impression de faire des maths sur un texte de français. Ma pire note au Bac, ça a été le français… 

Et puis, comme je le disais, avec A Nous la Nuit, les concerts, la vie nocturne, c’est finalement la musique qui s’est imposée à moi. J’ai commencé à y penser il y a deux ans. Et cette idée a grossi, jusqu’à ce que je me jette à l’eau réellement.

T : Tout semble aller très vite pour toi. Il y a quelques mois tu annonçais te lancer dans la musique et d’un coup, je vois que tu mixes déjà au Rex Club ! Comment as-tu eu cette opportunité ?

M : Tout a commencé parce que je voulais me créer une petite « fanbase », avec au moins les potes. C’était important de mettre en place mon univers visuel pour que ce soit cohérent le jour où je sortirais un truc. A savoir que pour devenir sociétaire de la Sacem (et donc pouvoir protéger tes créations), il faut avoir une track qui soit vue plus de 1000 fois. Beaucoup de professionnels disent « 1000 vues, ce n’est rien » mais pour moi, c’est énorme. Se constituer une petite communauté est donc également une sécurité, être sûre d’avoir les 1000 vues le plus rapidement possible. Donc je voulais lancer ma com bien en avance. Et c’est comme ça qu’un ami – qui a vu ma communication – me tag dans un commentaire d’une publication : un appel à talent mené par « French Waves ».  

Je me dis alors « allez, on participe pour l’honneur ». Ca faisait 2 mois que je mixais, j’y croyais pas du tout. L’idée c’était de se montrer, pour que le jury se  dise – lorsqu’un an plus tard je sortirais un truc : « mais cette meuf me dit grave quelque chose, je l’ai déjà vu quelque part… ». Ils ne se souviendraient pas d’où, mais ils m’auraient déjà vue. Il faut dire que le jury était impressionnant, c’était des gars de Rinse FM, le patron de Tsugi Mag, etc. Mon idée était que ces professionnels voient ma tête. 

Malgré tout, j’oscillais : « Je ne vais pas gagner, c’est impossible, ça sert à quoi que je joue ? Ils vont trouver ça nul.”  et de l’autre côté « T’imagine si je gagne ?! Comment je fais ».

Ça s’est soldé un matin par « J’ai gagné ! ». Pendant une heure j’ai bu des cafés d’euphorie, l’heure d’après, des cafés de panique, je te laisse imaginer.

Tout le monde me présentait comme la gagnante du concours. Je me sentais comme une imposture  «Laissez-moi partir, je ne suis pas forte, je ne suis pas celle que je prétends ! ». Pour être honnête, je me suis lamentablement ratée au Rex, je n’ai pas honte de le dire. J’étais stressée comme pas possible, je n’avais jamais mixé de ma vie devant autant de gens, juste dans ma chambre et là… 

T : Au final, c’était super courageux. Tu ne regrettes pas ?

M : Non, mais c’était dur émotionnellement. Deux jours plus tard, je suis allée mixer pour l’after show d’Open Mode Festival et là ça s’est très bien passé. Les deux jours suivants, j’étais invitée pour mixer sur Rinse. Le fait d’avoir raté ma première prestation en public m’a fait me rendre compte de la marche que je devais monter. 

Si tu ne te confrontes pas à la réalité, tu ne te rends pas compte qu’il y avait des choses qui n’étaient pas acquises. Tu peux te complaire dans ton niveau, sans réaliser qu’il faut passer à l’étape supérieure.  

Maintenant, j’arrive à rire de mon expérience au Rex. Même si je t’avoue que le lendemain, j’étais posée sur mon canapé avec la couverture sur moi, trop stressée pour réussir à dormir ou à pleurer. Mais les choses se sont enchaînées derrière.

T : Quel est ton prochain défi ?

Mon rêve, ce serait de préparer un live. J’aimerais faire un live avec mes musiques, mes textes et pourquoi pas, des visuels !

Nous adorons la capacité de Manlia à rebondir et à oser créer ses propres opportunités. Vous pouvez la suivre sur son instagram et sur son soundcloud. Merci Mathilde pour cette discussion à coeur ouvert.

Jolie épingle pour Pinterest 😉

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  1. Superbe découverte, j’adore son univers et sa pêche ! Ca donne le smile de bon matin !
    C’est inspirant aussi de voir qu’on pars parfois dans des parcours qui ne nous ressemblent pas, soit pour rentrer dans le rang, soit pour suivre une voie « toute tracée » mais pas par nous même. Et de voir qu’il est possible de rebondir quoiqu’il arrive !
    Merci pour ce joli partage 🙂

    1. Post comment

      Talenty rédaction says:

      Bonjour Noémie, oui nous sommes souvent moins bloqué.e que ce que nous croyons et il est possible de changer de direction et emprunter un chemin qui nous correspond mieux ! Merci pour ton retour, bonne journée 🙂

  2. Je connaissais l’association à Nous la nuit, j’ai d’ailleurs participé à une marche il y a quelques années mais je ne connaissais pas du tout la personne derrière le projet. Eh bien je suis impressionnée ! Mathilde est une personne vraiment inspirante qui a eu le courage de créer son job idéal. Félicitations pour ce parcours extraordinaire 🙂

    1. Post comment

      Talenty rédaction says:

      Bonjour Ana, heureuses de t’avoir fait découvrir la personnalité derrière cette association alors ! 🙂